Abbé Road : quand la musique donne!

Tournée vers une jeunesse qui a de plus en plus de mal à avoir accès à un logement et n’a parfois pas d’autre choix que des formes d’habitat indignes, la Fondation Abbé Pierre lance son opération Abbé Road. Son but : mobiliser les jeunes autour du mal-logement au moyen d’un langage universel, la musique. Difficultés d’accès ou de maintien à un logement décent, action des pouvoirs publics, nouveautés proposées par la loi ALUR et opération Abbé Road, Yves Colin, Directeur de la communication pour la fondation, nous en dit un peu plus.

L :  Parlez-nous de l’opération Abbé Road. Quelle en a été la genèse?

Y. Colin : À L’origine, il s’agit d’une réponse à une priorité arrêtée par le Conseil d’administration de la Fondation Abbé Pierre. Il faut savoir que nous voyons monter depuis plusieurs années un phénomène de fragilisation des jeunes publics dans leur accès ou leur maintien dans le logement, et dans la qualité des logements qu’ils sont contraints d’accepter. Les hausses des loyers de ces dix dernières années (que n’ont pas compensé, loin s’en faut, les tassements observés récemment) et l’explosion du coût des charges, d’énergie principalement, ont conduit les plus jeunes à s’en remettre à des solutions de fortune : squats, logements indignes, campings, hébergements précaires, etc. Il y avait donc nécessité de sensibiliser et, par extension de mobiliser, une génération qui pour la moitié d’entre elle (plus de 50 % des 18/34 ans) est obligée de rester chez ses parents. Non, par choix, mais par absence de moyen (travail précaire, logement trop cher) et ainsi, de se voir refuser l’entrée dans la vie autonome.
L’opération Abbé Road, plus spécifiquement, a été imaginée pour porter ces messages en s’appuyant sur un vecteur puissant et universel, la musique, afin d’être entendu très largement par cette génération ; elle s’appuie en outre sur une expérience conduite dans les grands festivals d’été depuis 2008, mais qui prend ici une toute autre dimension, à la fois dans son périmètre (une tournée complète contre trois festivals par an auparavant) et dans son dispositif (médiatisation et outils de sensibilisation).

L : Avec Emmaüs [comprenant la Fondation Abbé Pierre pour le logement et de nombreuses autres associations] l’abbé Pierre a dédié sa vie à la lutte contre l’exclusion notamment en favorisant l’accès au logement pour des publics défavorisés, qu’évoque pour vous cette icône? Quelle image en gardez-vous?

Y. Colin : Emmaüs, comme de très nombreuses autres structures, a été créée par l’abbé Pierre. C’est un point commun avec la Fondation Abbé Pierre qui a été voulue par l’abbé Pierre lui-même pour que son combat lui survive et se poursuive. Pour nous, l’abbé Pierre représente une image et une exigence. Une image, partagée par notre pays, celle d’un combattant et d’un homme altruiste autant qu’on puise l’être. Une exigence car il en demandait toujours davantage. À lui-même d’abord puisqu’il ne s’est jamais économisé ni préservé (il a souvent été malade et affaibli même s’il a vécu vieux) et aux autres ensuite, puisque l’idée même qu’il demeure des personnes en difficulté était quelque chose d’inacceptable et que toute réussite appelait d’autres efforts pour celles et ceux qui restaient au bord de la route…

L : Pensez-vous que la jeunesse actuelle se sente concernée par ses valeurs de solidarité? Est-il encore une figure tutélaire pour les jeunes générations ?

Y. Colin : On a souvent tendance à considérer la nouvelle génération, celle qui arrive dans la vie, comme une génération perdue, individualiste et fermée sur elle-même. C’est une vision très déformée d’une jeunesse qui, certes, fonctionne avec ses codes et s’est emparée des outils qui sont nés avec elle, mais qui reste extrêmement idéaliste et ouverte sur le monde. Elle cultive des formes nouvelles d’implication, mais elle est impliquée. Nous en apporterons une preuve éclatante cet été lors de notre tournée des bénévoles dans les grands festivals, puisque les jeunes qui s’engagent à nos côtés le font sur une période longue mais avec enthousiasme et lucidité.

L : Gouvernement de droite ou de gauche, que pensez-vous de l’action des pouvoirs publics (et notamment des collectivités territoriales) en matière d’aide au logement ces dernières années?

Y. Colin : Depuis la fin des années 1970, les efforts des pouvoirs publics sont insuffisants en matière de logement, toutes majorités confondues, même si certaines collectivités travaillent bien et beaucoup. Mais elles sont souvent sanctionnées car tenues d’en faire toujours plus pour accueillir celles et ceux que certaines communes ne veulent pas. Plus globalement, ces politiques manquent de souffle. Le 1er février 2012, François Hollande avait signé un « Contrat social pour une nouvelle politique du logement » imaginé et proposé par la Fondation. Certaines de ses dispositions ont été reprises dans la récente loi ALUR votée tout récemment, mais de trop nombreuses pesanteurs — voire résistances — handicapent lourdement le personnel politique qui a conscience que la politique du logement conditionne le quotidien des habitants d’un pays à un degré élevé. Il reste beaucoup (plus) à faire.

L : Va t-on vers un mieux avec la loi ALUR (loi Duflot) – qui prône la mise en place d’une Garantie Universelle des Loyers ainsi qu’un encadrement des loyers – ou la situation se dégrade t-elle selon vous?

Y. Colin : Il est évident que l’encadrement des loyers, même s’il reste trop restreint, aura à terme un effet bénéfique. Mais rien n’avancera sensiblement tant que l’on ne se décidera pas à construire massivement (car l’offre est insuffisante) et partout (car des maires indignent refusent encore le logement social auquel, pourtant, 70 % des Franciliens sont éligibles, par exemple).

L : Cette nouvelle loi permettra t-elle selon vous de pallier les défaillances en logement social dans les communes récalcitrantes payant la taxe imposée par la SRU ou un tel objectif est inapplicable? Si oui est-ce que cela sera profitable aux plus jeunes ou sont-ils souvent non prioritaires des demandes en logements sociaux?

Y. Colin : L’application inégale de la loi SRU est indigne. Elle est le signe que la République ne fait pas son travail : comment accepter que des maires, pour certains également parlementaires, refusent de respecter une loi qu’ils ont votée ? Comment accepter que certains élus mènent campagne en annonçant clairement qu’ils paieront une amende plutôt que construire un logement social ? Et qu’on les élise ! Que ceux qui ont mis un bulletin de vote avec ces noms-là, « avec leur bonne conscience » comme disait l’abbé Pierre, se questionnent, car ils sont responsables de la situation. Car enfin, qui a besoin de logement social dans notre pays ? Les jeunes en absolue priorité, les petits salaires, les fonctionnaires, les personnes seules, les grandes familles… Que chacun se regarde dans la glace et mesure sa propre responsabilité.

L : La conjonction Précarité de l’emploi/Logement cher pèse tout particulièrement sur les jeunes adultes, parlez-nous des principaux obstacles qu’ils rencontrent lorsqu’ils cherchent un logement?

Y. Colin : Le coût, le délit de faciès et les paperasseries, notamment. Quand ce n’est pas eux-mêmes. Le coût car, paradoxalement, ce sont les plus petites surfaces qui sont les plus chères proportionnellement. Et ce sont celles-ci dont ils ont besoin. De plus, les plus jeunes sont un public en mutation rapide, avec des besoins en évolution constante (une formation ici, un remplacement là, un stage là-bas, etc.), or c’est le mouvement qui coûte le plus cher dans le logement. Le délit de faciès car de très nombreux propriétaires vont estimer un jeune comme une ressource trop aléatoire ou trop incertaine. Les paperasseries et leurs injustices. Et notamment le système de cautionnement des parents, profondément inégalitaire. C’est d’ailleurs un point sur lequel nous entendons mobiliser en proposant à la signature une pétition (http://www.fondation-abbe-pierre.fr/abbe-road/petition) qui réclame l’application de la garantie universelle à tous les jeunes de moins de 30 ans et, surtout, l’interdiction de ce système de cautionnement.
Enfin, ce sont les jeunes qui, parfois, produisent — ou pour être plus juste acceptent — des solutions qui n’en sont pas. Certes, les générations précédentes sont presque toutes passées par la chambre de bonne sous les toits, sans sanitaires et sans ascenseur, voire humide et dégradées. Mais avoir recours à ces expédients aujourd’hui, compte tenu de l’état du parc immobilier et des marchands de sommeil qui y prospèrent, c’est prendre un grand risque de s’y enterrer. Et nous voulons aussi dire ces choses-là…

L : Concrètement, en quoi pouvez-vous les aider? Se tournent-ils d’ailleurs aisément vers la fondation?

Y. Colin : On ne pourra gagner ce combat sans être poussé par cette force populaire d’une génération qui pourrait comprendre et rejoindre notre combat. C’est le sens de l’accroche d’Abbé Road : « Qui que tu sois, rejoins le chemin de pierre ». Nous avons les moyens de peser politiquement. Mais nous ne le pourrons que rassemblés et convaincus de la force que cela génère…

L : Pour en revenir à Abbé Road justement, un titre « Le Chemin de pierre » vient juste de sortir. Vous prévoyez également de faire une tournée dans les grands festivals de musique afin de sensibiliser les jeunes au mal-logement mais est-ce vraiment la cible à sensibiliser?

Y. Colin : Oui, comme on vient de le voir, les jeunes sont effectivement la cible. Mais je comprends votre question : les jeunes qui fréquentent les festivals sont-ils les plus en prise avec ces difficultés ? Pour nombre d’entre eux, ce ne sont certainement pas les personnes les plus fragiles car elles ont déjà (même si c’est anecdotique) la possibilité de s’offrir un billet d’entrée. Mais nous avons l’expérience de ce genre de manifestations et nous y avons rencontré de nombreux jeunes en galère. Ceci dit, si nous avons voulu médiatiser cette opération, c’est justement pour sortir du simple périmètre des festivals musicaux, avoir un large écho dans cette génération. Et si nous avons également souhaité produire deux versions de cette chanson, l’une pop et l’autre urbaine, c’est aussi pour élargir notre audience. De plus, le téléchargement des deux titres comme l’accès au « Guide du logement des jeunes » que nous allons distribuer sont entièrement gratuits et peuvent se faire sur le site de la Fondation (à partir du 20 juin pour le guide) car nous voulons que tous puissent en bénéficier.

L :  Vous avez choisi Nolwenn Leroy comme marraine de votre projet. Pourquoi ce choix?

Y. Colin : Nolwenn fait partie du Comité d’Amis et de Parrains de la Fondation depuis sa création en 2006. Elle connaît bien notre combat et était légitime pour le porter.

L :  Quels sont les autres artistes qui vous accompagnent?

Y. Colin : Ils sont nombreux et nous sommes très heureux qu’ils aient aussi spontanément répondu à notre appel. Pour la version pop, nous avons également pu compter sur le talent de Jeanne Cherhal, Joyce Jonathan, Rose, Zaz ainsi que Thomas Dutronc, Mike Ibrahim (l’un des deux auteurs du titre), Renan Luce, Tété et Christophe Maé est venu pousser un air d’harmonica. Côté des artistes urbains, qui ont montré un enthousiasme qui nous a fait chaud au cœur, Kayna Samet, Zaho et Canardo, Corneille, Disiz et Rod Janois se sont mobilisés.

Merci à Yves Colin d’avoir accepté de répondre à mes questions. 60 ans après l’appel de son fondateur qui proclamait « N’oublions pas les jeunes! », la Fondation, fidèle à cet héritage, poursuit son combat avec acharnement avec pour slogan :

Qui que tu sois, rejoins le chemin de pierre contre le mal-logement


L’opération Abbé Road qui se déroulera en plusieurs temps comprend :

> Un single (téléchargeable uniquement), Le chemin de pierre, chanson écrite et composée par Mike Ibrahim et Felipe Salvida interprétée dans sa version pop-rock par Nolwenn Leroy (marraine de la Fondation) Jeanne Cherhal, Joyce Jonathan, Rose, Zaz, Thomas Dutronc, Renan Luce et Tété.

Interprétée par Kayna Samet, Zaho, Canardo, Corneille, Disiz et Rod Janois dans sa version urbaine.

> Un guide : outil qui retrace le parcours du jeune par rapport à la problématique du logement et par rapport à sa propre situation. On y trouve à la fois des réponses institutionnelles en termes d’accès et de maintien dans le logement, de droits et de devoirs (DALO : Droit au logement opposable, Garantie Universelle des Loyers…) tout autant que des pistes et des solutions qui proviennent de situations vécues, du « système D ». Ce fascicule de 60 pages est un guide national qui permettra ensuite aux intéressés de chercher les déclinaisons régionales des différentes réponses qui leur sont proposées. Le guide sera tiré en 100 000 exemplaire. Il sera gratuitement diffusé dans les festivals, disponible en téléchargement et à disposition dans tous les points d’ancrage territoriaux des partenaires Union Nationale pour l’Habitat des Jeunes/réseau Habitat Jeunes, Union Nationale CLLAJ/ réseau CLLAJ, JOC et son réseau, FUAJ et son réseau Auberges de jeunesse, CRIJ de Bretagne et son réseau information.

> Une tournée des bénévoles : Rock en Seine, Francofolies, Route du Rock, Fête de l’Huma, Eurockéennes, Vieilles Charrues, Interceltiques, GaroRock, Jazz in Marciac, autant d’occasion d’aborder le mal-logement des jeunes d’une façon plus légère (mais néanmoins sérieuse) dans une ambiance propice à l’écoute.

> Un bus, support de sensibilisation : La tournée sur la route des festivals sera articulée autour d’un outil de sensibilisation – un bus – référence évidente aux bus empruntés par les groupes en tournée afin d’être vu et de créer l’événement.

> Un concert pour dernière étape : Abbé Road 2014 se terminera par un grand concert à la Cigale à Paris le 18 octobre, le lendemain d’une date symbolique : la Journée mondiale du Refus de la Misère. A cette occasion la Fondation Abbé Pierre fera un bilan de l’opération. Le concert rassemblera les artistes de l’opération qui se produiront sur scène pour la seule et unique fois durant l’opération.

En savoir plus : 

> Consulter le site Internet de la Fondation Abbé Pierre

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