Lost in translation

Alors que certains ne jurent que par les films en versions originales sous-titrées, d’autres optent systématiquement pour le doublage. En effet, si les voix-off ont mauvaise presse auprès des premiers qui l’accusent de dénaturer la personnalité et le talent de l’auteur, les seconds ne peuvent s’en passer. Dans cette interview, Amaryllis Spyrou, traductrice spécialisée dans le sous-titrage nous explique en détails ces deux techniques. Amaryllis a sous-titré, ou participé au sous-titrage de plusieurs films, séries, documentaires, moocs, tutoriels, notamment. Elle travaille pour l’agence de traduction Cultures Connection.

Luzy : On peut traduire un film étranger de 2 façons. Soit au moyen du « sous-titrage » soit en faisant appel au « doublage », commençons par la méthode du « sous-titrage », comment s’effectue la traduction sachant que le sous titrage ne peut bien entendu pas être la traduction juxtalinéaire de la version originale? Quelles sont donc les contraintes et est-ce aisé de les respecter?
Le sous-titrage est une traduction qui a plusieurs particularités. Certaines concernent l’aspect linguistique et d’autres l’aspect technique. Côté linguistique, il faut véhiculer une information au plus proche de l’originale, information qui peut être à la fois écrite ou visuelle. Il s’agit de prendre en compte avec subtilité les éléments visuels dans le choix des mots employés lorsqu’on traduit la partie verbale. Le grand danger étant de tomber dans l’interprétation, de ne pas respecter le style de chaque personnage, le niveau de langue, la grammaire, de s’emballer sur la ponctuation, etc.
Le format ajoute une difficulté linguistique supplémentaire : la méthode consiste à « faire rentrer » un texte plus ou moins long dans l’espace imparti tout en respectant la grammaire, la syntaxe, les points plus haut cités mais aussi le nombre de caractères pouvant s’afficher sur l’écran et la vitesse de lecture de l’audience. Notre capacité à fournir un texte court mais complet et précis est donc toujours mise à l’épreuve, avec un risque plus ou moins grand de se voir obligés d’omettre une information. Le sous-titrage peut alors devenir une question de choix et de priorité de l’information.
Côté technique, il s’agit de maîtriser des logiciels, les règles d’insertion et de présentation du texte et les spécificités techniques correspondant à chaque public (adulte, enfant ou malentendant). Il faut synchroniser une vidéo selon les règles : commencer un sous-titre au bon moment, savoir quand l’arrêter, diviser à un endroit où la syntaxe ne se verrait pas bafouée, ne pas anticiper une information, etc. ; et y appliquer son texte dans les règles. C’est une traduction très réglementée qui laisse peu de liberté.
Il faut donc non seulement prendre en compte les spécificités linguistiques et techniques du sous-titrage mais respecter le rythme différent de chaque vidéo. C’est un processus méthodique et fastidieux.
Ainsi, qu’il soit question d’un film, d’une série, d’un documentaire ou de n’importe quelle autre vidéo, elle sera travaillée encore et encore. On finit par avoir vu une vidéo beaucoup de fois avant d’obtenir un résultat final ou prêt pour la relecture.

Luzy : En ce qui concerne le « doublage » maintenant, ne dénature t-il pas selon vous dans l’art le talent et la personnalité d’un acteur?
La question est assez subjective. À mon goût si, un doublage dénature complètement une œuvre vidéo. Cela dit, c’est tout à fait normal. Partons du principe que nous avons devant nous une œuvre vidéo comportant des sous-titres d’une qualité excellente et cette même œuvre doublée de façon excellente. La version sous-titrée comportera moins d’information en langue cible mais plus d’information tout court. La version doublée offrira quant à elle plus d’information en langue cible mais aura omis ou dévié des éléments. Par exemple, là où le personnage « mâche ses mots », le sous-titre ne donnera qu’une traduction du texte et l’audience devra comprendre le « souci » par la bande son en VO, tandis que le doubleur aura la possibilité de reproduire l’accent. Un très bon exemple est la voix de Mickey (Brad Pitt) dans Snatch. Un spectateur n’ayant aucune connaissance de l’anglais ne comprendrait pas que le personnage mâche ses mots en VO à travers les sous-titres, tandis que le doublage arrive à faire passer ce message.
Les accents sont souvent ignorés en VF. Un spectateur averti reconnaîtra un Écossais, Irlandais, Sud-Africain, Britannique, etc., au premier mot qu’il aura prononcé, tandis que le public du doublage ne le comprendra que quand et si l’information est donnée.
Je vois donc le sous-titrage comme une aide à la compréhension d’une œuvre pour un public averti et le doublage comme un substitut de l’œuvre destiné au grand public. Cela dit, cela s’applique peu au français, car la plupart des langues utilisent majoritairement le sous-titrage, ce qui n’est pas le cas de la nôtre, je dirais donc qu’il s’agit également d’un choix culturel.
La voix est, quant à elle, un élément très important dans ce qu’on éprouve pour un personnage. Même les meilleurs doubleurs ne reproduiront pas l’effet exact de l’acteur original. Il existe quelques voix remarquables dans les doublages, qui est un art en soi et que je qualifierai de très difficile car dès qu’on refait d’une façon ou d’une autre quelque chose qui existe déjà, on s’ouvre à la critique ; mais aussi, comme je l’ai dit plus haut, parce que certaines choses ne peuvent pas être reproduites dans une autre langue. Mais cela n’est-il pas également le cas pour toute traduction ? Une œuvre en langue originale est-elle la même que quand elle est traduite ? Suscitera-t-elle les mêmes sentiments chez un lecteur de culture différente ? Le doublage vise à offrir un accès facile à une œuvre et il doit être respecté pour cela.

Luzy : Et comment faire pour être le plus raccord possible avec le mouvement des lèvres de l’artiste ou de la personne qui parle?
Il est très difficile de rester fidèle à la fois au sens et aux mouvements des lèvres des acteurs. Cela est même très souvent impossible. Dans la traduction des textes, on peut essayer de respecter la longueur d’une phrase, ou profiter d’un moment où la caméra tourne pour rajouter un petit mot, ou encore, essayer d’employer des synonymes contenant des sonorités similaires. C’est un travail monstrueux quand on veut bien faire et on n’aura jamais un résultat parfait. On a moins affaire à la tâche « résumé » qu’on rencontre en sous-titrage, étant donné que l’on peut véhiculer beaucoup plus d’information en un temps imparti à l’oral qu’à l’écrit. Il faut tout de même éviter le ridicule, ayant un personnage qui ouvre la bouche deux fois et auquel on fait réciter tout un roman…
La traduction pour le doublage est pour moi le « tout à bonne mesure » à chaque pas que l’on fait. Reformuler les blagues, mais pas trop, ajouter ou enlever des mots, mais pas trop, etc.

Luzy : Quid du choix des voix. Comment se fait-il?
De ce que je sais, les doubleurs sont des acteurs. Je suppose donc que les voix sont choisies sur casting et qu’on essaie d’attribuer à un personnage la voix qui lui correspondrait le mieux. Il me semble également que certains grands acteurs ont leur voix assignée, ce qui peut permettre au public de se repérer entre deux films.

Luzy : Entre ces deux modes de traduction lequel préférez-vous personnellement?
Ce sont deux processus très différents. Le sous-titre traduit tandis que le doublage localise. Les subtilités linguistiques ne seront donc pas du tout traitées de la même manière dans les deux cas.
En tant que traductrice j’aime autant les deux modes pour leurs spécificités. J’aime autant le processus méthodique du sous-titrage où une fois que j’ai terminé de travailler sur la vidéo j’ai ce sentiment d’accomplissement, d’avoir pu créer quelque chose en accord avec l’œuvre ; que le processus rêveur du doublage où tout se passe dans le plan imaginaire, c’est comme lire un livre, on imagine la voix avant qu’elle ne soit enregistrée, on la module, on la formule. Nos mots lui donnent une couleur et la guident. Un jour, on voit les œuvres qu’on a ainsi traduites, et on se rend compte que l’acteur a eu une interprétation assez différente de nos mots, qu’il n’a pas compris la syntaxe, l’ironie, ou qu’il a rajouté du sens là où on n’en avait pas vu.

Luzy : Quels sont les avantages et inconvénients des 2 procédés?
Qu’il s’agisse du sous-titrage ou du doublage, je dirais que l’atout majeur est de travailler sur un support vidéo. On ne travaille jamais deux fois sur une vidéo, ce qui fait qu’on change de sujet chaque jour. La traduction peut parfois s’avérer « ennuyante », traduire mille fois le même contrat en changeant de nom, ou un diplôme, uniquement des textes médicaux, ou des notices utilisateur… Il existe des vidéos sur absolument tout et travailler en doublage ou sous-titrage nous garantit une nouvelle expérience chaque jour.
Un inconvénient que les deux modes ont en commun, c’est que le français est une langue beaucoup moins concise que l’anglais, par exemple, et comporte beaucoup de mots longs. On aura donc presque toujours un texte plus long en FR, qu’il est difficile de caser dans un sous-titre ou entre deux battements de lèvres.

Sous-titrage :
1. Avantages :
Le sous-titrage a l’avantage d’être une œuvre accomplie. Une fois qu’on met le point final, l’œuvre est prête à être publiée. Elle porte notre signature, notre marque. C’est un processus agréable et organisé, assez mathématique (surtout pour les synchronisateurs) qui nous sort du quotidien parfois un peu trop littéraire de notre métier.
2. Inconvénients :
Le sous-titrage est la traduction la plus mal payée sur le marché. Qu’il s’agisse des plus grands producteurs d’Hollywood ou d’un tutoriel sur « comment utiliser une clé anglaise » fait par votre voisin, personne ne veut payer le prix d’une traduction pour un sous-titrage avec des taux quatre fois inférieurs à ceux de la traduction. Je trouve aussi dommage que beaucoup d’agences omettent d’expliquer au traducteur comment utiliser un logiciel de sous-titrage et proposent de traduire sur un CAT-tool ou encore Excel. Cela dénature complètement le processus, le texte est ensuite souvent manipulé par des non francophones pour « rentrer dans les cases », ce qui rend le processus trop long et le résultat médiocre.

Doublage :
1. Avantages :
Il s’agit d’écrire en prenant en compte à la fois la fluidité écrite et orale du texte, ce qui en fait une activité créative. Une belle façon de s’évader ou de commencer sa semaine.
2. Inconvénients :
Les règles du doublage sont rarement expliquées au traducteur, qui se retrouve face à une page blanche ne sachant pas très bien quoi faire. On devrait toujours prendre le temps de former le traducteur à ce type de traductions, afin d’éviter les doublages catastrophiques qu’on retrouve le plus souvent dans les dessins animés à bas budget. Il arrive parfois qu’on propose un taux à la minute vidéo pour le doublage aussi, qui sera forcément moins avantageux qu’un taux au mot, donc ce sont aussi souvent des projets très largement sous-payés.

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