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Mes enfants, votre bataille – Marie Agouzoul

Être propulsé trop tôt en ce monde, voir le jour avant d’avoir passé le temps qu’il faut dans le ventre de sa maman, l’arrivée d’un bébé grand prématuré est un événement difficile à vivre pour les futurs parents. En proie à la culpabilité, à la peur de perdre leur enfant, toujours à l’écoute de la souffrance d’un être si petit mis en couveuse et relié à un tas de machines hurlantes, les parents suspendent leur vie l’espace d’un instant interminable pour devenir des magiciens du peau à peau, des orfèvres de la puériculture, des elfes de lumière et chaleur… quand ils ne s’effondrent tout simplement pas. Pour avoir vécu la grande prématurité en mettant au monde une petite fille si fragile de 1,4 kilo, je me sentais concernée. Marie Agouzoul, par ailleurs collègue, m’a proposé de lire son livre et je l’ai dévoré. Une foultitude de souvenirs ont alors refait surface, l’impression aussi que nous avions Marie et moi vécu la même expérience. Une expérience que l’on ne peut oublier, riche en rencontres, en émotions tantôt négatives tantôt positives mais qui pour elle comme pour moi a débouché sur le bonheur d’avoir des enfants en parfaite santé. Tout le monde n’a pas cette chance. Je tenais donc aujourd’hui à publier son témoignage plein d’humanité pour que tous les parents touchés gardent espoir. Rencontre avec Marie Agouzoul.

Marie vous êtes la maman de jumeaux grands prématurés et vous venez de publier un livre relatant ce vécu, pourquoi ce choix? Était-ce une catharsis ou un moyen de soutenir d’autres parents qui pourraient se retrouver confrontés à la chose?

Marie : Lorsque mes deux garçons sont rentrés à la maison après 5 semaines d’hospitalisation, j’ai ressenti le besoin d’écrire. Au départ, j’écrivais pour eux, pour qu’ils sachent, plus tard, ce qu’ils avaient vécu durant leurs premiers jours. Puis, au fur et à mesure que je détaillais mon récit de leur arrivée au monde, l’idée a grandi que notre expérience pourrait intéresser d’autres parents, ayant connu la prématurité ou non. Lorsqu’ils étaient hospitalisés, j’étais moi-même très sensible aux témoignages d’autres parents. Et je le suis d’ailleurs restée.

Vous étiez-vous préparée à accoucher trop tôt de vos enfants? Existe t-il des structures d’accompagnement en amont ayant pour objectif de préparer de futurs parents potentiellement susceptibles d’être touchés par la grande prématurité? Est-ce seulement possible de s’y préparer?

Marie : Très tôt durant cette grossesse gémellaire, classée « à risque » par le corps médical, j’ai été sensibilisée à l’éventualité d’un accouchement prématuré. J’ai bénéficié d’un suivi médical spécifique à ce type de grossesse. Lorsque j’ai accouché à 6 mois et demi de grossesse (31 SA + 4 j), j’étais déjà hospitalisée depuis une semaine pour menace d’accouchement prématuré. J’avais donc, avec l’aide du personnel médical et de mon mari, tenté de me préparer à ce scénario. Et pourtant, la nuit de mon accouchement, je me suis sentie désemparée. Tout s’est passé très vite, trop vite. A peine le temps que mon mari me rejoigne en salle de naissance, et Benjamin arrivait au monde, puis ce fut au tour d’Adel. Deux minuscules bébés dont j’ai dû me séparer immédiatement pour qu’ils soient pris en charge en réanimation.

Vous avez connu les affres d’un service de réanimation néonatale puis d’un service de néonatologie, un vrai parcours du combattant dans lequel les parents se retrouvent, au même titre que l’équipe médicale mais la peur au ventre en plus, à surveiller leur enfant se développant dans une couveuse et relié à toutes sortes de machines anxiogènes, comment avez-vous vécu cette expérience?

Marie : Le jour de l’accouchement, j’étais totalement perdue. Je me sentais impuissante. J’étais impatiente de rejoindre mes fils mais il fallait que les effets de ma péridurale passent. Je savais qu’ils étaient entre de bonnes mains et que le meilleur serait fait pour eux. Mes sentiments se contredisaient : la joie d’être à nouveau maman (et qui plus est de deux enfants d’un coup!), la peur de ce que mes garçons allaient devoir affronter dans ce monde extérieur pour lequel ils n’étaient pas encore parés, et la culpabilité de ne pas avoir réussi à les protéger en moi plus longtemps.

Comment avez-vous tissé vos premiers liens avec vos enfants? Vous êtes vous sentie frustrée ou au contraire les liens ont-ils été encore plus forts que vous ne pouviez l’imaginer?

Marie : Ma première rencontre avec eux en réanimation a été violente. J’ai découvert un univers que je ne connaissais pas, une sorte d’espace d’attente vers la vie. Je les ai vus dans leur couveuse, recouverts de fils, un masque respiratoire sur le visage, la peau rouge vif, entourés d’énormes machines dont les bips retentissaient dans tous les sens. Lorsque j’ai ouvert les hublots de leur couveuse, je les ai entendu gémir sourdement de douleur.
Et malgré tout, même si je n’entrapercevais pas grand-chose de leur visage, je les ai immédiatement trouvé beaux ! Il a fallu apprendre les gestes autorisés pour ne pas les brusquer, apprendre à regarder ses bébés souffrir d’inconfort, apprendre les consignes d’hygiène, apprendre le « jargon » médical, apprendre à s’habituer à materner autrement que ce que l’on aurait souhaité…
Les portes de la néonatalogie étaient ouvertes 24h sur 24 à mon mari et moi. Nous nous sommes donc organisés pour passer le plus de temps possible chaque jour à leurs côtés sans pour autant délaisser notre fille ainée.
Progressivement, au fil des jours, nos petits champions sont parvenus à respirer, à réguler leur température, à digérer, à déglutir, à réguler leur taux d’oxygène et, enfin, à stabiliser leur rythme cardiaque. A mesure qu’ils franchissaient ces étapes, nous étions autorisés à de plus en plus de liberté dans nos gestes : faire les soins d’hygiène, être en câlin en peau à peau, les prendre et les recoucher dans leur berceau, leur donner le bain, les débrancher puis rebrancher aux moniteurs, donner les biberons…

Humainement parlant qu’en avez-vous retenu?

Marie :  Nous avons eu la chance que nos fils franchissent chaque étape importante rapidement et sans régression durant leur hospitalisation. Dès la naissance, le personnel était optimiste pour eux. Pour leur transmettre toutes nos forces durant ces semaines, mon mari et moi avons puisé dans l’énergie que l’amour pour leur sœur ainée nous procure. Nous avons également été très aidés par nos parents, ne serait-ce que pour garder notre fille lors de nos visites. Notre entourage et les infirmières de l’hôpital ont été, à différents niveaux, d’un formidable soutien. Cette expérience a renforcé mon couple car nous nous sommes épaulés mutuellement, sans même parfois parler. Nous avons été extrêmement chanceux durant cette aventure, c’est pourquoi nous savourons chaque jour notre bonheur d’être réunis tous les cinq en famille !

Parlez nous également de vos liens avec l’équipe médicale? Vous êtes vous sentie comprise, épaulée dans la difficulté psychologique que représente le fait de voir ses enfants en proie à la prématurité?

Marie : Globalement l’ensemble des professionnels que nous avons rencontrés ont été bienveillants envers nous. Dès le premier jour, les infirmières du service de réanimation nous ont encouragés, avec beaucoup de douceur, à être les plus présents possible auprès de nos enfants. Nous avions notre place en néonatalogie même si j’ai parfois eu du mal à trouver ma place de mère dans cet univers médicalisé. Nous sommes immensément reconnaissants envers le corps médical pour ce qui a été fait pour nos fils.

Quel épisode vous a semblé le plus dur à surmonter?

Marie : Mes fils ont été hospitalisés successivement en service de réanimation puis en service de soins intensifs à l’hôpital de Port-Royal à Paris, avant d’être transférés en soins intensifs au centre hospitalier de Neuilly. Chacune de ces trois étapes a été à la fois marquante, éprouvante mais aussi émouvante. Cependant, l’incertitude des premières heures a été la chose la plus dure que nous avons du affronter.

Quel(s) conseil(s) auriez-vous envie de donner aux parents pour ne pas craquer pendant cette épreuve?

Marie : Les parcours des bébés prématurés et de leur famille sont tous différents et semés de plus ou moins d’embûches… Néanmoins, il me semble que, quelle que soit l’histoire de chacun, il est important d’être entouré que se soit par des membres de la famille, des amis, des professionnels ou une association. Je pense notamment à l’association SOS préma dont les membres se mobilisent pour soutenir les familles qui en ont besoin.

Comment avez-vous vécu le retour à la maison? Un soulagement ou une angoisse supplémentaire?

Marie : Je pensais naïvement que la prématurité prenait fin à la sortie de l’hôpital car l’état de santé de mes fils ne nécessitait pas de soins particuliers, en dehors de quelques médicaments et vitamines. Or, ce n’est pas le cas. Nous avons été confrontés à plusieurs difficultés, à commencer par celle de ne pas parvenir à nourrir correctement nos bébés. Alors que les derniers biberons s’étaient déroulés sans difficulté en fin d’hospitalisation, nous avons galéré une fois à la maison. L’un de mes fils a perdu du poids durant toute une semaine. Puis, il a fallu changer plusieurs fois de lait. Heureusement, dans tout ce périple, nous avons été conseillés par notre super pédiatre et par l’équipe de notre PMI. Mon mari et moi avons dû nous accorder sur les règles d’hygiène à imposer à notre entourage pour continuer de protéger nos bébés. J’étais, pour ma part, tiraillée entre les recommandations du pédiatre de l’hôpital qui prônait d’éviter les contacts physiques avec d’autres personnes que nous deux, et mon besoin de partager mon bonheur d’être à nouveau jeune maman, avec nos proches, en leur faisant goûter au plaisir incroyable des câlins avec eux dans les bras.

Votre livre est sorti en librairie le 22 septembre dernier, quel accueil a t-il reçu? Avez-vous déjà eu des retours notamment de parents ayant vécu cette expérience douloureuse?

Marie : Les premiers retours des lecteurs (qui sont très majoritairement des lectrices) sont très touchants ! Mon récit est souvent qualifié comme émouvant, profond, sincère et marqué par l’amour, par des personnes qui ont connu ou non la prématurité. Il m’arrive d’en avoir la larme aux yeux tellement cela est bouleversant.

> Un grand merci à Marie pour son témoignage. Vous pouvez vous procurer son livre en cliquant ici 

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