Ce matin, réveil brutal. Morgan Sportès est face à moi. Questionné par François Busnel sur son livre Tout, tout de suite, j’écoute avec stupeur les mots sortir de la bouche de cet écrivain passionnant. Qui ne connaît pas l’histoire de Ilan Halimi? Qui n’a jamais entendu parler du Gang des Barbares? L’horreur dans toute sa splendeur. Celle retransmise par les médias mais à laquelle on a du mal à croire. Celle que l’on cherche à évacuer, à fuir car trop anxiogène. Si j’osais je dirais absurde, « Kafkaïenne » comme la nomme Sportès. Un minimum empathique (ou plutôt humain) on en deviendrait dingue à essayer de comprendre ce qui peut bien se passer dans la tête d’un groupe entier d’individus pour commettre de tels actes de barbarie. Parents, c’est l’horreur qui nous fige à imaginer notre propre enfant victime de tels sociopathes, pervers, dérangés.
Ayant eu accès au dossier d’instruction, ayant également fait le choix de se rendre sur les lieux sordides où le corps du jeune homme a été retrouvé, l’auteur a pris le parti de faire de cet épisode tragique un roman politique et social.
Ilan Halimi fut enlevé le 21 janvier 2006 pour son appartenance à la communauté juive qui selon ses ravisseurs faisait de lui quelqu’un de riche. Séquestré par une vingtaine de personnes, torturé pendant des semaines, il fut retrouvé gisant le long d’une voix ferrée de banlieue parisienne brûlé sur 80% de son corps. L’ensemble des violences et tortures subies (la faim, le froid d’une cave glauque, les coups de balai, de cutter, de couteau et enfin les brûlures finales) auront eu raison de lui. Il décéda lors de son transfert à l’hôpital.
Ayant visionné la photo d’Ilan Halimi prise à la morgue Sportès en parle en ces termes : Les stigmates de la souffrance lui ont fait un visage d’homme de 50 ans alors qu’il n’en avait que 23; comme si en 24 jours de séquestration il avait fait le tour de l’horreur humaine qu’a fait un Stéphane Hessel ou un Edgar Morin, mais il leur aura fallu plus de temps. C’est une espèce d’école de l’ignominie et de l’horreur.
Que dire du profil psychologique de ses tortionnaires qui parfois pour certains étaient mineurs? Gosses de banlieue paumés, Sportès associe leur comportement à divers causes : à la déstructuration de ces individus victimes des clichés de la banlieue, au fait que certains aient un QI avoisinant le 0 absolu mais aussi et surtout à la réelle présence de failles psychologiques individuelles, de violences non contenues. Car il est clair que vivre dans la misère ou avoir peu d’éducation n’engendrent pas nécessairement des tueurs.
Je vous invite pour les plus solides à écouter les propos de Sportès chez Busnel. Je n’achèterai pas ce livre, je n’en ai pas la force. Je suis depuis ce matin bouleversée, submergée par des émotions fortes. Il fait beau dehors mais gris dans ma tête. Je pense à ce jeune homme qui a connu à la fin de sa bien trop courte vie l’horreur absolue, celle que l’on ne souhaite à personne. Qui est mort sûrement sans comprendre ce qui lui arrivait, victime de la bêtise, de la cruauté et de l’indifférence de ses tortionnaires. Mais y-a-t-il simplement quelque chose à comprendre? Des pensées me viennent aussi pour ses parents qui ont vu en moins d’un mois leur quotidien basculer et qui devront jusqu’à la fin vivre avec ce fardeau dans des souffrances morales abominables.
Vous qui entrez ici, laissez toute espérance. Ce livre est une autopsie : celle de nos sociétés saisies par la barbarie. Et ce sera les mots de la fin, ceux de l’éditeur.
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