Saint Laurent – Bertrand Bonello

Profonde mélancolie dans un regard désenchanté. Yves Saint Laurent n’a que trente-trois ans et l’impression d’en avoir cent. La lassitude le gagne. A la recherche du temps perdu. Le temps de l’innocence peut-être, le temps de la lenteur sans doute peu à peu évaporés pour laisser place à celui de la gloire d’un côté, de la décadence de l’autre. Mise en scène viscontienne non sans rappeler la beauté teintée de glauque de Mort à Venise, Bonello va jusqu’à imaginer Helmut Berger en Saint Laurent vieillissant. L’amant de Visconti aurait sûrement été crédible dans la peau du couturier au visage émacié et cheveu rebelle lors de ses jeunes années. Aujourd’hui seuls ses yeux rivalisent de tristesse avec celle qui brillait dans ceux du Petit Prince de la haute couture.

Mais qu’importe! Bonello signe une oeuvre personnelle qui dépasse le cadre du simple biopic. Saint Laurent n’est pas seulement l’histoire d’un homme désabusé, renfermé, en quête de beauté absolue, Saint Laurent est aussi et surtout l’histoire d’une époque. Et l’on sait combien Bonello depuis L’Apollonide plonge avec justesse et délice à l’intérieur de peintures de siècle pour en raconter le basculement, la désagrégation. Peut-être devait-il d’ailleurs croiser le chemin de ce créateur visionnaire dont le génie consistait surtout à sentir son époque pour en sublimer la femme? Saharienne, Smoking, robe Mondrian… s’il avait imaginé la robe Warhol aurait-il été « le plus grand des artistes de la fin du XXème »?

Pipes d’opium et bouddhas de Jade dans les souvenirs d’une maison close. Fragrance d’ « Opium » et bouddha fétiche pour un immense couturier. Un soupçon de Manet, d’Ingres et de Courbet souffle sur L’Apollonide, là où Mondrian, Warhol, Majorelle, Matisse et Gauguin drapent Saint Laurent. Autre époque, autre siècle mais même chute avec grâce. La grâce. C’est également le mot le plus approprié pour définir les mouvements de l’acteur. Sobre, félin, incroyablement beau, Gaspard Ulliel tel un serpent semble avoir mué pour endosser avec élégance et talent les habits de l’homme fragile et complexe qu’était Saint Laurent. Son regard puits sans fond, sa voix douce, posée comme un hommage supplémentaire à Yves.

I put a spell on you, ivresse des grands soirs, mises en abîme, pensées lourdes et sombres, esthète et poète, Saint Laurent semblait taillé sur mesure pour Bonello. Un film proustien, hypnotique et fascinant à voir assurément.


Quelques mots sur Bonello…

> Lire une chronique qui tue sur L’Apollonide : c’est par ici 

> Le Centre Pompidou propose du 19 septembre au 26 octobre une exposition originale, intéressante et gratuite dédiée au cinéma de Bonello intitulée « Résonances » dont voici les mots sur le sujet de l’intéressé : Je ne suis pas habitué à essayer d’investir d’autres lieux que celui de la salle de cinéma. Lorsque la proposition d’occuper tout un espace du Centre Pompidou autour du lien musique et cinéma est arrivée, il me semblait naturel d’essayer de l’habiter comme un cinéaste et comme un musicien, plus que comme un plasticien. Et de repenser donc la monstration des films, ainsi que le rapport entre les images et les sons. D’un côté, dans la salle, une rétrospective de mes films. De l’autre, dans l’espace, une proposition de « remixes », de renversements, de voix sans images et d’images sans voix, de redéfinitions des films, pour que chacun d’entre eux réapparaisse, renaisse.

Commentaires

  1. Avatar de carmadou

    Il est effectivement magnifique ce biopic de Saint Laurent… c’est à couper le souffle ! Il est définitivement un de nos grands cinéastes.

    1. Avatar de luzycalor

      Un des mes grands également et du coup je vous conseille (si vous avez le temps) d’aller voir l’expo gratuite qui lui est consacrée à Beaubourg. Elle propose quelques-uns de ses scenarii qui n’ont pas pu voir le jour. Certains sont pour le moins étonnants!

  2. Avatar de My Little Discoveries

    Suis-je la seule à ne pas avoir aimé ce film? Je me suis vraiment ennuyée…

    1. Avatar de luzycalor

      Eh bien à part quelques récalcitrants, j’avoue qu’il fait plutôt l’unanimité 🙂 Il est sans doute un peu lent et un peu long (bien que – en ce qui me concerne – cela ne m’ait pas gênée, j’aime plutôt ce genre de cinéma) mais il est incontestablement visuellement parlant exceptionnel.

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