“Chemistry is the study of matter, but I prefer to see it as the study of change (…) It’s growth, then decay, then transformation. It is fascinating, really.” Par ces paroles placées, dès le pilote de la série, dans la bouche de son personnage principal dans une vaine tentative pour intéresser ses élèves à la matière qu’il enseigne, Vince Gilligan, producteur exécutif et maître à penser de Breaking Bad, introduit le thème même des 5 saisons qui vont suivre : la transformation des individus et leurs interactions.
Walter White, 50 ans, professeur de chimie dans un lycée d’Albuquerque, père d’un adolescent handicapé, marié à Skyler, enceinte d’un second enfant pas attendu, apprend qu’il est atteint d’un cancer du poumon inopérable qui lui laisse, si la chimio fonctionne, à peine plus de deux ans à vivre. Il découvre alors, en accompagnant son beau-frère agent de la DEA – les stups fédéraux – dans une descente, qu’un de ses anciens élèves, Jessie, prépare et deale de la méthamphétamine. Plutôt que de le dénoncer, Walter va lui proposer de s’associer : « You know the business, and I know the chemistry », dans le seul but d’amasser un maximum d’argent en un minimum de temps afin de mettre sa famille à l’abri du besoin. Mais, tel un atome ou une molécule soumis à un nouvel environnement, le professeur surqualifié va interagir et se transformer au contact de la violence du monde qu’il côtoie désormais: Walter White, timoré et un brin falot, va graduellement devenir Heisenberg, machiavélique et légendaire.
Diffusée sur la chaîne payante américaine AMC (et en France sur Arte), Breaking Bad a reçu un succès public et critique considérable ainsi que de très nombreuses récompenses. Songeons que Libération a consacré une double page à la diffusion américaine du dernier épisode de la saison 5 (alors même que la diffusion de la 5ème saison n’avait pas débutée en France), tant cette fin était attendue dans le monde entier. C’est peut-être d’ailleurs l’idée la plus brillante de Vince Gilligan : avoir dès l’origine décidé que, quel que soit le succès, la série ne durerait pas plus de 5 saisons. Elle bénéficie de ce fait d’une vraie fin, parfaitement intégrée et logique au regard de l’histoire, et non d’une fin alambiquée et bâclée par des scénaristes à qui on serait venu apprendre la fin de la série à cause d’une baisse d’audience (les producteurs de Dexter ont été copieusement chambrés sur Twitter après le dernier épisode de Breaking Bad sur le thème du « allez donc voir comment on termine une série »).
Cette fin a d’autant plus d’intérêt qu’elle vient conclure une histoire excellemment bien écrite. La mécanique implacable qui emporte les personnages repose sur un scénario d’une cohérence rare, où toute interrogation que le spectateur pourrait avoir sur les motivations ou actions des personnages trouve à un moment donné une explication ou une évocation. Cette histoire est également écrite de façon très intelligente, avec de nombreuses références, littéraires ou musicales, (que l’on retrouve par exemple dans les titres des épisodes en VO), la plus réjouissante étant, selon moi, le jeu avec le poème When I heard the learn’d astronomer, extrait de de Leaves of Grass de Walt Whitman (dont Walter White partage les initiales WW), qui est à la fois un élément qui fera basculer l’histoire et une clé pour comprendre la psychologie de Walter White (le poème critique la vision scientifique du monde d’un astronome qui n’explique l’univers que par des équations et des graphiques, or c’est justement ainsi que fonctionne Walter pour qui tout peut et doit s’expliquer rationnellement).
Indépendamment de ces éléments, Vince Gilligan, (qui travaille sur des séries depuis X Files et qui sait donc comment satisfaire le fan) a utilisé tout un ensemble de petites choses propices à générer le « culte » autour d’une série : ce sont des choix iconographiques ( un générique sobre et aisément identifiable, la photographie des scènes dans le désert du Nouveau-Mexique, un ours en peluche rose, des têtes de mort en argent en embout de santiags, une hache chromée, ou encore, bien évidemment, la méthamphétamine bleue), des seconds rôles hilarants ou inquiétants (Saul Goodman, l’avocat véreux, Mike, l’homme de main fatigué, Tuco, le psychopathe extraverti en chemise Armani et ses cousins, Marco et Leonel, plus introvertis mais tout aussi psychopathes, leur tonton Hector, psychopathe paraplégique à sonnette, Gus Fring, le patron d’une chaine de fast-food et du trafic de meth sur le Nouveau-Mexique, Skinny Pete et Badger, les potes de Jessie, véritables pieds nickelés dont l’objectif dans la vie se limite aux jeux vidéos et à trouver de quoi fumer, Todd, le tueur poli et désolé qui ressemble à Matt Damon…). Ajoutons à cela quelques scènes et répliques (« this is not meth », « I am not in danger, Skyler, I am THE danger », « Say my name » sans parler des innombrables « bitch » de Jessie) que l’on retrouve dans un paquet de « Breaking Bad Tribute » sur YouTube, les sites internet savewalterwhite.com (crée dans la série par le fils de Walt pour collecter des fonds pour le traitement de son père et qui permet réellement de faire un don pour la recherche pour le cancer) ou bettercallsaul.com ( le site de l’avocat Saul Goodman, avec un lien – heureusement fictif – pour acheter les mêmes costumes que lui), et quelques Eastern Egg (le pantalon que Walt perd dans la première séquence du pilote jonche le sol du désert dans l’un des derniers épisodes de la 5ème saison, ou le message caché dans le titre des épisodes où apparaît l’ourson rose, etc.). On comprend pourquoi autant de forums se sont développés pour discuter et échanger sur la série, pourquoi autant de fans ont créé leur propre montage ou bande-annonce, bref, tout ce qui fait que cette série est devenue « culte ».
Bien écrite, la série est aussi excellemment bien interprétée. Qu’ils s’agissent des personnages récurrents, Anna Gunn (Skyler), Aaron Paul (Jessie), Dean Norris (Hank), Jonathan Banks (Mike), RJ Mitte (Walt Jr), Giancarlo Esposito (Gus Fring), Bob Odenkirk (Saul Goodman), ou des personnages secondaires (on ne peut pas ne pas citer les deux frères Moncada dans le rôle des cousins, ou Raymond Cruz, époustouflant Tuco Salamanca), l’interprétation est sans faille. Mais que dire de la performance de Bryan Cranston (le père de Malcom dans la série éponyme) dans le rôle de Walter White ? Je me contenterai de reprendre ce qu’Anthony Hopkins (oui, Hannibal Lecter) a lui-même écrit à Cranston : « I have never watched anything like it. Brilliant! Your performance as Walter White was the best acting I have seen – ever. »
Jouer un personnage tel que Walter White est sans doute le rêve de tout acteur. Ce personnage est tellement fort qu’il est déjà entré dans la culture populaire américaine : un trafiquant de meth a été arrêté, il y a quelques mois, aux USA. Accrochée au rétroviseur de sa voiture, il y avait une petite figurine à l’effigie de Walter White (ce qui nous en conviendrons n’est d’ailleurs pas du meilleur goût).
Ces cinq saisons débutent le jour du cinquantième anniversaire de Walter White et s’achèvent celui de son cinquante-deuxième. Une tranche de vie. The study of change. It’s growth, then decay, then transformation. It’s fascinating. Really.
Article écrit par Laurent C. (Wannacook)
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